LECOMTE DU NOÜY

VÀ HỌC THUYẾT VIỄN ĐÍCH

Nhân Tử Nguyễn Văn Thọ


Mục lục | Tựa của Phạm Đình Tân | Thư bà Mary Lecomte du Noüy | Lời nói đầu

Phần 1: chương 1  2  3  4 | Phần 2: chương 1  2  3  4 | Phần 3: chương 1  2  3  4

Phụ lục 1  2  3 | Sách tham khảo


 

Phụ lục 1

Téléfinalisme Parallèles Conséquences

 

Tout d’abord, résumons à nouveau l’hypothèse téléfinaliste.

Un des faits les plus indiscutables de la nature est l’évolution. Nous constatons, dans l’évolution de l’univers, plusieurs périodes qui se suivent chronologiquement mais sans continuité en ce qui concerne les lois générales qui les gouvernent. La première période est celle des corpuscules qui précèdent l’apparition des atomes constitués de ces corpuscules et des molécules constituées d’atomes. Cette seconde période est soumise à un ensemble de lois nouvelles et en particulier au Principe de Carnot-Clausius qui impose un sens unique à l’évolution des phénomènes dans le temps. Vient ensuite 1a troisième période, celle de la vie organisée qui possède également ses lois propres et semble échapper au principe de Carnot. Enfin, paraît la quatrième période, celle de l’Homme conscient et libre dominée par les règles morales.

L’intelligence humaine qui a réussi à codifier de façon satisfai­sante les deux premiers groupes, celui des corpuscules (mécani­que ondulatoire) et celui des atomes et molécules (thermodyna­mique), n’a pas encore réussi à les relier l’un à l’autre sans postulat, c’est-à-dire sans émettre une hypothèse indémontrable. A l’heure actuelle ces domaines sont encore, au point de vue de notre science rationnelle, étrangement séparés. La même observation s’applique au troisième groupe la Vie moins bien connu que les deux premiers, obéissant à ses lois propres et dans une certaine mesure à celles du second groupe, mais sans que la continuité scientifique ait pu être établie entre les deux. Quant au quatrième groupe, celui de la pensée abstractive, des idées morales et de la volonté, il échappe à toute loi quantitative, et domine les autres.

Chronologiquement, la première période remonte à une époque qu’on estime éloignée de nous de trois milliards à dix mille milliards d’années; la seconde remonte probablement à deux ou trois milliards d’années; la troisième à un peu plus d’un milliard d’années; et la quatrième, toute récente, n’a vraisemblablement pas plus de cent mille ans.

L’évolution de l’univers se présente donc à nous comme un phénomène unique, mais composite, dont la continuité et la tendance progressive (vers des dissymétrie et des complexités de plus en plus grandes) ne sont bien démontrées que depuis l’ap­parition de la troisième période, l’évolution des êtres vivants. La seconde période, avant l’éclosion de la vie, évoluait au contraire vers la suppression des dissymétries, et, de nos jours, l’inorganisé, la matière brute, continue dans ce sens. L’ensemble évoque assez bien quatre poteaux télégraphiques et hauteur et de structure différentes reliés entre eux par un fil que nous devinons intuitivement, mais que nous ne voyons réellement qu’entre le troisième et le quatrième pylône. Au delà du quatrième, nous pouvons extrapoler, mais c’est tout. Et c’est cette extrapolation – l’hypothèse téléfinaliste – qui nous permet de concevoir la signification de l’ensemble et son harmonie.

L’hypothèse téléfinaliste consiste d’abord à constater un fait indiscutable: l’apparition de la pensée humaine, des idées morales et spirituelles, et le développement spontané et indépendant de ces idées en différents points du globe terrestre. Elle refuse de voir dans ces manifestations hautement «improbables» de l’activité cérébrale le simple jeu du hasard parce que, mathématiquement, il est facile de démontrer qu’il ne peut pas en être ainsi. Or, elle pose en principe qu’une impossibilité mathématique doit être prise en considération sous peine de discréditer toute notre science.

Admettant ensuite l’évolution naturelle des êtres vivants comme un des faits les mieux établis de la science, elle remarque qu’il est peu vraisemblable que ce processus progressif ait été brusquement interrompu par la naissance de la pensée et des idées morales. Mais seule la lignée humaine n’a jamais cesse d’évoluer, les autres mammifères s’étant seulement transformés et adaptés. Or, dans l’homme, la plus grande transformation observée depuis le Cro-Magnard ancien – une trentaine de milliers d’années – est celle du cerveau. Il est donc logique de penser que l’évolution de l’homme se poursuit dorénavant par cet organe et se manifeste dans un plan qui n’est plus physique mais psychologique, par le développement et le perfectionnement des idées abstraites morales et spirituelles. Mais l’évolution des êtres vivants dans son ensemble est en contradiction absolue avec tout ce que nous apprend notre science matérielle: elle est en désaccord complet avec la thermodynamique. La raison de l’évolution n’est donc pas du domaine de notre science. Il a fallu; depuis le début de la vie, l’intervention constante d’un «anti-hasard» qui orientait cette série de phénomènes dans un sens progressif determiné, dans un sens hautement improbable qui devait aboutir au cerveau humain. Tout s’est donc passé comme si, dès l’époque de la monère originelle, non pas l’homme, mais l’intelligence, la conscience et la dignité humaine, étaient voulues. Non pas préétablies, comme l’ont soutenu quelques théories désuètes qui dès lors devenaient incapables d’expliquer certains faits de l’évolution, mais simplement voulues en tant que manifestations intermédiaires entre le passé, encore teinté d’animalité ancestrale, et l’avenir riche de promesses plus hautes.

L’outil de cette volonté est donc d’évolution en elle-même, et son but, la réalisation d’un être parfait complètement libéré de ses chaînes héréditaires, de son esclavage physiologique. Par conséquent, tout ce qui s’oppose à cette évolution dans le domaine moral et spirituel est contraire à la volonté directrice et représente le Mal absolu. Tout ce qui tend au contraire à creuser le fossé entre l’animal et l’homme, tout ce qui tend à faire évoluer celui-ci davantage, est le Bien.

Mais pour que l’homme s’affranchisse et progresse individuellement il fallait qu’il fût libre de choisir entre les deux appels: l’appel du corps et l’appel de l’esprit. La sélection naturelle, au lieu de ne dépendre que du jeu des forces physiques, depend maintenant de la conscience, cette conscience qui devient dans chacun de nous le moyen mis à notre disposition pour avancer. La liberté de conscience est la preuve que désormais l’homme est responsable, non seulement de son propre perfectionnement, mais du progrès de l’évolution tout entière. Si l’homme sort victorieux de la lutte, it acquiert la dignité humaine vers laquelle nous tendons. S’il est vaincu, s’il cède aux instincts animaux, il s’élimine lui-même de l’évolution, en prouvant qu’il n’était pas capable – pas digne de contribuer à l’effort commun. La sélection naturelle a joué.

Entre l’animal, si intelligent soit-il, et l’homme doué de conscience et libre, il y a une différence comparable à celle qui existe entre une protéine chimiquement pure et la vie organisée. Les lois de la matière inerte sont insuffisantes dès que la vie apparaît. Il est aussi anti-scientifique de vouloir assimiler l’homme aux animaux, sous prétexte qu’il est biologiquement construit de manière semblable, que de prétendre que les lois de l’osmose pour des membranes mortes s’appliquent à la perméabilité des cellules vivantes. Nous rencontrons là le troisième fossé que la science n’a pas encore pu franchir, et qui, lui, est peut-être à jamais infranchissable.

Il y a lieu d’établir la même distinction entre la forme humaine, l’animal supérieur, et l’homme doué de conscience, qu’entre un instrument de musique et la symphonie qu’en tire un artiste. L’instrument fut conçu, construit et perfectionné dans le seul but de permettre un jour à l’artiste de matérialiser son inspiration musicale. La forme humaine, réceptacle du cerveau dont la perfection dépendait en partie de la perfection anatomique – mains, œil, organes de la parôle – se présente à nous comme un moyen qui doit dorénavant s’asservir à la volonté, aux idées morales, comme l’instrument de musique doit s’asservir à la volonté de l’artiste et s’effacer dans le rayonnement de son génie. Pour exprimer une mélodie, un compositeur a besoin d’un orchestre constitué d’un grand nombre d’instruments divers. L’harmonie du monde, qui n’est pas à notre échelle, se dégage de l’effort multiforme, mais orienté dans le même sens, de la masse des hommes, C’est l’harmonie qui est voulue, non l’outil, et le culte de l’outil révèle simplement l’incapacité de percevoir l’harmonie.

C’est donc ce qu’il y a de plus rare en l’homme, ce qui le caractérise spécifiquement et le différencie de l’animal, qui a été la vraie raison de l’évolution. C’est pas l’évolution encore que se caractère doit s’améliorer et atteindre un état de perfection à peine concevable, mais deviné intuivement et si puissamment senti que des êtres ont préféré le martyre de leur corps à la souillure de leur idéal. Le devoir le plus haut de chaque homme est de contribuer à cette nouvelle phase de l’évolution. Ce faisant, sa vie prend une signification universelle. Il devient un maillon d’une chaine; non plus un élément irresponsable, obéissant aveuglément à des impulsions hormonales physico-chimiques, mais un élément conscient, libre à tout moment de régresser et de disparaître ou de progresser et de contribuer à l’œuvre divine dont parle Renan. Toute la noblesse de l’homme dérive de cette liberté refusée aux animaux. De cela seul il serait excusable de s’enorgueillir de tout le reste...

Le sort de l’évolution aussi bien que le sort de chaque homme dépend de l’intensité, de la sincérité et de la continuité de l’effort qu’il fait pour se dégager de la gangue animale, pour se surpasser. Cet effort constitue sa profession de foi. Il implique la foi en l’avenir de l’esprit, en la dignité humaine, en Dieu qui la voulut.

Quelles sont les conséquences directes de cette façon d’envisager l’évolution? On peut, pour plus de clarté, les diviser en trois classes:

1e – Philosophiques,

2è – Humaines et sociales,

3è – Pratiques et morales.

Conséquences philosophiques

La première est la transformation des idées morales en faits assimilables à des faits scientifiques puisque elles se trouvent rattachées à l’évolution et représentent des caractère nouveaux comparables aux caractères anatomiques et physiologiques qui, jusque-là, permettaient seuls de mesurer le progrès.

Il en résulte une notion d’unité universelle, satisfaisante par l’homogénéité qu’elle introduit dans le monde accessible à l’intelligence humaine. Nous avons montré ailleurs que l’unification, c’est-à-dire l’interprétation des phénomènes complexes au moyen d’éléments communs simples, constitue la méthode naturelle et générale de travail de l’intelligence rationnelle. Le domaine psychique, moral et spirituel se trouve donc incorporé au domaine scientifique, et la science rejoint enfin cette autre activité intellectuelle, purement basée sur l’intuition, qui aboutit aux religions. Les religions étaient arrivées il y a plusieurs milliers d’années aux conclusions pratiques auxquelles nous aboutissons logiquement, ce qui prouve qu’à certains points de vue les processus rationnels sont étrangement plus lents que les processus intuitifs.

Il importe maintenant que les efforts rationnels et intuitifs se confondent; ceci impose d’abord un élargissement de la science, mais aussi une épuration des religions, car elles doivent se débarrasser de tout ce qui demeure de pollution païenne dans leurs rites. Non pas brutalement, certes, mais progressivement. Il est bien certain que le dogme chrétien pur est aujourd’hui aussi inassimilable par la foule que la théorie de la relativité. Mais la foule peut se passer de la notion de relativité, tandis qu’elle ne peut se passer de religion et l’on ne doit pas lui permettre indéfinement de se reposer sur une religion qui prend sa source dans une idolâtrie anthropomorphique et est incapable d’entraîner une profonde amélioration morale. L’existence de deux religions, ésotérique et exotérique, est admissible à condition que la forme exotérique respecte la pureté et la rigueur de la tradition ésotérique et ne tolère pas, par faiblesse, des pratiques susceptibles de jeter le discrédit sur le Dogme.

Je reconnais que le problème est extrêmement délicat et difficile. Ce n’est pas une raison pour le contourner. Rappelons-nous ce qu’écrivait Renan: «Si jamais le culte de Jésus s’affaiblit dans le monde, ce sera à cause des faits qui ont fait croire en lui.» Il ne faut pas que la poursuite de la quantité fasse perdre de vue la qualité; il ne faut pas que le désir de s’étendre en surface et de gagner un nombre immense de fidèles fasse oublier que le but suprême est l’amélioration morale de l’individu par l’effort personnel sincère et éclairé, non l’obédience plus ou moins superstitieuse à des rites extérieurs considérés comme une assurance gratuite contre les malheurs éventuels.

Notre époque est une époque de transition et, comme telle, douloureure pour certains êtres qui souffrent d’avoir a s’adapter Un enfant s’adapte instantanément. Un homme âgé en est parfois incapable. Ceci est vrai dans tous les domaines, aussi bien biologique que social, industriel, intellectuel ou religieux. Et la souffrance est la même, qu’il s’agisse d’une révolution morale importante ou d’un fait trivial: le vieux cocher a souffert de l’arrivée des automobiles, toutes proportions gardées, comme le païen convaincu a souffert du christianisme naissant.

C’est donc par l’enfant qu’il faut commencer. Et ceci impose naturellement la formation préalable des maîtres. Cette préparation constitue le noeud du problème et, pour la France en particulier, il est bien clair que l’instituteur laïque, prosélyte d’une foi matérialiste périmée au point de vue scientifique; à de rares exceptions près, représente un danger qui s’est déjà matérialisé plusieurs fois. Il faut donc, sous peine de désastre, que l’instituteur reçoive une instruction scientifique moderne, solide, débarrassée de toute influence étrangère à la raison. Si nous devons former les générations futures rationnellement, nous sommes en droit d’exiger que ce rationnalisme soit totalement rationnel, conforme a l’état actuel de nos connaissances et non pas inspiré par une science vieille de cinquante ans. La rationnalisme ne doit pas être un pavilion qui couvre une marchandise, un domino sous lequel se dissimule une mystique politique. Ce n’est pas une philosophie, c’est une méthode de travail. Son prestige est emprunté à celui de la science. Il n’est rien sans elle.

Si l’on ne fait pas un effort dans ce sens, on verra reparaître, mais cette fois-ci dans le camp soi-disant rationnel, ces vieux ennemis de la raison et de la liberté, l’intolérance et le fanatisme, contre lesquels le rationnalisme s’était précisément révolté. Le fait s’est déjà produit. Les conséquences sentimentales, bonnes ou mauvaises, des idées, ont malheureusement beaucoup plus l’influence sur l’homme que les idées elles-mêmes. L’idée, ou plus exactement le mot qui la représente, devient rapidement un cri de ralliement, un symbole, vidé de toute signification; et l’effort de réaction légitime déclenché par des excès, qui obtient au début un résultat excellent, est incapable au bout de peu de temps, d’empêcher la nature humaine de retomber dans la même ornière et de commettre les mêmes excès, au nom de principes directement opposés aux premiers.

C’est la nature humaine, non la religion, qui avait enfanté intolérance et fanatisme. Car le prétexte importe peu. Les réaction de la foule sont toujours les mêmes, quelle que soit l’excitation, dès qu’une occasion se présente et qu’on la persuade que son autorité, ses intérêts ou sa mystique sont menacés. Le prisonnier rêve de mettre son geôlier en prison, mais il le fera au nom de la Liberté, au lieu de le faire au nom de la Loi. C’est la règle du jeu et le jeu continuera et les mêmes enthousiasmes, les mêmes vociférations accueilleront successivement, avec la même sincérité momentanée, la Loi et la Liberté, tant que ces deux mots n’évoqueront, au fond de chaque homme, que les bénéfices immédiats qu’ils entraînent, non les grandes idées qu’ils représentent et le devoirs qu’ils imposent. En d’autre termes, tant que ces idées – et bien d’autres – ne seront pas greffées sur un sens profond de la dignité humaine.

On me rapportait récemment qu’une institutrice primaire de Champagne enseignait à ses élèves une morale basée sur cette affirmation: «Ton corps est à toi.» Je n’insiste pas sur les conséquences lamentables d’un tel credo et des commentaires qu’on peut deviner. L’infernale astuce de pareilles formules est qu’elles sont vraies et que le venin gît, non pas en elles-mêmes, mais dans leur fausse interprétation. Oui, «ton corps est a toi» mais c’est précisément pour cela que c’est lui qui doit t’obéir et non pas toi qui dois to faire son esclave. La même phrase, à la lumière de la morale chrétienne, prend un sens diamétralement opposé.

Une autre conséquence philosophique du téléfinalisme est la dissociation du corps et de l’esprit, dissociation considérée, non plus comme un acte de foi, mais comme un fait scientifique puisque dorénavant c’est l’esprit, non le corps qui évolue.

Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas d’une dissociation au sens où l’entendaient les «animistes» de jadis. Il n’est pas question de faire de l’âme une entité indépendante du corps et l’habitant. Scientifiquement cette attitude est indéfendable. Mais, d’autre part, l’attitude purement mécaniste, moniste, nous l’avons montré dans notre précédent ouvrage, n’est soutenable qu’en tant que profession de foi, ce qui est également antiscientifique. La question est donc extrêmement épineuse et nous sommes à peu près certains de nous faire traiter sévèrement, quoi que nous disions. Il en est toujours ainsi quand on manque de points d’appui expérimentaux. Cependant, ce problème, insoluble dans l’état actuel de nos connaissances, ne laisse pas d’évoquer d’autres problèmes également mytérieux aujourd’hui, mais si familiers que nous croyons les connaître. L’habitude, disait Montaigne, ôte l’étrangeté. Nous sommes donc peut-être autorisés à les rappeler dans l’espoir que la dissociation dont nous parlons paraîtra moins révoltante à ceux de nos lecteurs que leur culture scientifique a conduits à une notion un peu trop simple du principe de causalité.

Je veux parler du vieux problème de la qualité. Par exemple, prenons les propriétés des ions, des atomes et des molécules. Nous sommes incapables de prévoir qualitativement les réactions resultant de contact entre les atomes (ou les ions) et nos terminaisons nerveuses, réactions qui s’épanouissent dans notre conscience sous forme d’image de l’univers. Notre cerveau traduit ces réactions en impressions – tactiles, gustatives, olfactives – et crée des propriétés qu’aucune théorie ne permet de prévoir, et qu’aucun appareil ne peut mesurer. Les ions en solution, par exemple, sont doués par rapport à l’homme, de propriétés différentes de celles des atomes et des molécules. L’ion chlore et l’ion sodium dans une solution aqueuse de sel de cuisine, ne se comportent pas vis-à-vis de notre langue comme la molécule de chlore toxique et la molécule de sodium corrosive. Ces propriétés possèdent-elles un sens réel en dehors de la présence de l’homme, existent-elles en soi? Nous n’en savons rien. En tous cas, elles constituent toute notre activité. Rien n’annonce les qualités de l’eau ordinaire dans les qualités de l’hydrogène et de l’oxygène qui la composent. De la combinaison chimique et de la simple dissolution émergent donc des propriétés nouvelles; on en trouve d’autres exemples frappants dans l’immunologie.

Sans voir dans les lignes précédentes autre chose qu’un parallèle lointain, it semble que nous soyons autorisés à penser que des solutions de continuité analogues, bien que plus profondes et de nature différente, séparent le corps humain de la pensée et la pensée de la conscience, tout en reconnaissant que ces deux manifestations sont des attributs du cerveau. Or, comme nous l’avons dit précédemment, c’est bien le cerveau qui se perfectionne matériellement. Mais il est parvenu au point ou son activité se manifeste sur un plan supérieur, par des faits psychologiques qui sont perçus directement, alors que les modifications structurales qui leur servent de support nous sont entièrement inaccessibles et ne pourraient d’ailleurs jamais être perçues qu’indirectement par l’intermédiaire des sens. Nous ne pouvons plus agir systématiquement sur son évolution, qui se révèle par des idées pures, des désirs, des aspirations capables de dominer complètement le corps, que par l’intermédiaire d’actions du même ordre, par des actions psychologiques, par la volonté.

Certes, nous pouvons agir sur le mécanisme de la pensée humaine chimiquement (hormones, stupéfiants) ou mécaniquement (ablation chirurgicale de glandes endocrines) mais jamais de façon systématique, progressive. Nous pouvons réparer des accidents (crétinisme combattu par l’injection de thyroïde); nous pouvons détraquer la machine, ou la remettre à peu près en état de fonctionner; mais nous ne pouvons pas la perfectionner, sinon en employant des procédés empruntés à elle-même. Nous nous trouvons en face d’un phénomène autonome dont les rouages ressortissent encore aux lois de la matière vivante, mais dont l’activité est soumise à d’autres disciplines dérivées de cette activité même, et directement dépendantes des lois transcendantes de l’évolution. Il est bien évident que ces remarques et ces analogies laissent subsister en entier le grand problème de l’origine de toutes choses qui n’est plus du domaine de la science, mais dont la science seule permet de concevoir l’impressionnante grandeur.

A partir du moment nous acceptons cette dissociation, sous la forme hypothétique que nous avons essayé de lui donner ou sous toute autre forme, l’élément subjectif, psychique devient prépondérant. Une sorte d’autocatalyse est amorcée. Les formes extérieures de la foi, la devotion, les rites, les manifestations du culte, passent au second plan: le temple intérieur prend la première place; la sincérité, la volonté de se surpasser moralement pour jouer son rôle dans l’œuvre divine, la conscience de la dignité humaine et de tout ce qu’elle exige, quel que soit le nom qu’on donne au Créateur, sont des actes de foi plus efficaces que la fidélité aux offices.

Entendons-nous encore. Je ne prétends nullement que cet effort individuel soit suffisant, mais il est nécessaire. Soutenir le contraire serait admettre que l’homme peut, par sa volonté seule, atteindre l’état supérieur vers lequel tend l’évolution. Ce serait inadmissible, inconcevable, car, il deviendrait ainsi tout d’un coup l’auteur d’une évolution qui existait avant lui. Il ne peut qu’y collaborer. De même que, malgré les prodiges de l’adaptation, il a fallu, pour assurer la marche sans cesse ascendante de l’évolution, l’intervention constante, physique, de l’«anti-hasard», de même, au cours de l’évolution psychique, il faut cette intervention pour sélectionner et fixer les caractères transmis. Comme le mécanisme n’est plus identique et que la lente acquisition des caractères nouveaux par le jeu du hasard, des mutations, de l’adaptation, de la sélection naturelle, est remplacé par l’effort individuel et la tradition, comme ce nouveau processus est infiniment plus rapide, l’intervention est de nature différente et se manifeste plus économiquement, c’est-à-dire avec moins de pertes, moins de gâchage, pourrait-on dire. Au fur et à mesure que les êtres vivants évoluaient, le nombre d’abord immense des solutions possibles, c’est-à-dire le nombre des formes avantagées capables d’évoluer encore dans le sens voulu, diminuait, de même que dans un championnat, le nombre d’abord considérable des concurrents s’amenuise peu à peu au cours des épreuves éliminatoires, jusqu’aux «demifinales». Les centaines de milliers d’œufs nécessaires tant que toutes les formes devaient être «essayées», se réduisent chez les mammifères, rameau évoluant choisi parmi tous, à un nombre très limité de rejetons. Chez l’homme, dans le plan psychique et psychologique tout se passe comme si tous les caractères acquis étaient héréditaires grâce à la tradition et à la civilisation. Le temps prend une valeur à l’échelle humaine.

Chose extrêmement curieuse, le téléfinalisme recoupe ici la pensée bouddhique moderne, comme on peut s’en rendre compte par le passage suivant, extrait des écrits d’un grand penseur hindou, Shri Aurobindo.

«L’homme vit surtout en surface, mais il y a en lui un être intérieur plein des plus grandes possibilités et qu’il se doit aujourd’hui d’éveiller – car son influence actuelle quoique très réduite, ne l’en poussera pas moins à la constante poursuite d’une beauté, d’une harmonie, d’une puissance et d’une connaissance plus hautes.

«Tandis que les premières étapes de l’évolution étaient acceptées sans volonté consciente par la plante et l’animal, dans l’homme la Nature devient capable d’évoluer par une volonté consciente dans l’être. Ce n’est cependant pas par la volonté mentale dans l’homme que ceci peut être pleinement réalisé, car il est seulement permis au mental d’aller jusqu’à un certain point au delà duquel it ne peut que se mouvoir en cercle. Une conversion doit se produire, une modification de la conscience, par laquelle le mental se transforme en un principe plus élevé.»

Un disciple de Shri Aurobindo, Anilbaran Roy exposant les idées de son maître, écrit:

«L’homme peut devenir un surhomme, non pas en vertu d’un effort ou d’un sâdhana qu’il accomplit, mais seulement losque se complète le cours de l’évolution propre à la nature. De même que l’homme a évolué à partir de l’animal, de même surhomme évoluera à partir de l’homme. La seule différence est que les animaux ne prirent aucune part consciente à leur évolution, mais furent poussés par une impulsion subconsciente. Dans l’homme, la nature s’est élevée à la conscience de soi, et l’étape suivante dans l’évolution se fera avec la coopération consciente de l’homme... C’est la nature elle-même qui conduit l’homme dans son ascension; toutes les disciplines morales et spirituelles du passé ont, de diverses manières, préparé la race pour cette montée finale... Ce que l’homme doit fournir, c’est sa foi, sa foi dans les divines possibilités or dans la puissance qui est à l’œuvre derrière lui, sa sincérité à rejeter tous les mouvements inférieurs de la nature qui font obstacle à la réalisation divine, et enfin une aspiration fixe et sans défaillance.»

Ces lignes, dont je n’ai eu connaissance qu’après la publication de l’Avenir de l’Esprit, révèlent une parenté d’idées extraordinaire avec le téléfinalisme. Exprimées de façon plus littéraire, plus poétique, moins technique, elles apportent une preuve frappante du développement convergent de certains concepts qui, issus indépendamment de prémisses différentes, chez des hommmes n’ayant aucun contact entre eux, ont abouti à des conclusions identiques. Cette similarité étonnante nous paraît renforcer singulièrement notre thèse. Nous sommes convaincus que, dans notre monde occidental, le langage scientifique est mieux adapté à la forme des esprits et possède un ton plus convaincant que le yoga. Mais aux Indes, il n’en est pas ainsi. En France, la récente floraison d’ouvrages sur le finalisme (en 1914) bien que moins nettement constructive, est significative elle aussi et représente la réaction, dans les milieux intellectuels, contre une philosophie dont Monsieur Homais restera toujours le grand maître et le symbole.

Conséquences humaines et sociales

Chaque homme doit tendre à se rapprocher, dans la mesure de ses moyens, de l’idéal humain le plus parfait – c’est-à-dire pour nous, le Christ – non seulement dans le but égoïste d’atteindre la paix de l’âme, le bonheur intérieur et l’immortalité par intégration à l’œuvre divine, mais dans le but de contribuer à cette ouvre, de préparer l’avènement de la race supérieure promise par l’évolution.

Par conséquent cette théorie crée entre sous les hommes un lien nouveau, une solidarité profonde, universelle, dégagée de toute préoccupation personnelle et même nationale. Tous doivent contribuer à la tâche commune de l’humanité, et, le but individuel se confondant avec le but général, l’effort demandé à chacun ne constitue plus un sacrifice, mais, pourrait-on presque dire, un placement. Cette confusion de l’intérêt individuel et de l’intérêt général ne peut se réaliser que dans in plan spirituel. Elle a depuis longtemps préoccupé les sociologues et a toujours échoué parse qu’il ne recherchaient que la communauté d’intérêts matériels. Les morales socialistes ont toujours fait preuve d’une pauvreté d’imagination déplorable. Non seulement, elles négligeaient complètement la psychologie humaine et son infinie richesse, mais elles ne préconisaient jamais que des adaptations, des modifications de systèmes existants, en respectant toujours la notion dangereuse de groupe politique, qui finit inévitablement par aboutir à des conflits économiques et à des guerres. C’est le sort de toute morale teintée de matérialisme. Le monde a été témoin de bien des expériences de ce genre, non seulement récemment, mais a toutes les époques. Seuls, semble-t-il, les Incas avaient réussi à édifier un système social, potilique et religieux stable, parent du communisme. Encore ne dure-t-il pas longtemps, et le fanatisme inhumain des conquérants espagnols combiné à l’amour de l’or, n’eut aucune peine à l’écraser. En 1820, un des premiers essais pratiques de communisme intégral, sinon le premier, fut fait aux Etats-Unis, pour «lutter contre la source de tout mal en abolissant l’argent et la propriété particulière !» Les intentions de l’initiateur de cette idée, Robert Owen, étaient pures mais naïves. Il croyait en l’influence moralisatrice d’un certain régime social. Suivi par quelques centaines de braves gens, il fonda une ville qu’on appela: New Harmony. En moins de trois ans, cette ville fut déchirée par des conflits, des haines, des batailles qui aboutireent à une faillite complète. Toute tentative de ce genre est vouée à l’insuccès: c’est un peu comme si un chimiste espérait changer la nature d’une réaction en modifiant la forme des vases où elle s’effectue.

La source de tout mal est dans la substance même de l’homme. Pour extirper ses racines, il faut neutraliser les instincts hérités de ses ancêtres hominidés, et les remplacer par le sens de la dignité humaine. Ce n’est pas facile car l’homme ordinaire sait bien, ou devine, que ce titre flatteur d’homme conscient se paye par des restrictions à l’activité de ses sens, dont il derive souvent toutes ses joies. Il réagit un peu comme un simple soldat auquel on viendrait offrir les étoiles de général et qui refuserait en réfléchissant qu’il ne pourrait plus courir les bars et les bals musette avec sa petite amie.

C’est parce qu’elles savent cela et qu’elles possèdent une connaissance profonde de la nature humaine que les religions ont inventé un enfer qui a un peu perdu de sa terreur aujourd’hui. Mais la religion catholique elle-même n’a pas toujours obtenu les résultats les plus moraux; Philippe d’Espagne, fervent chrétien, se demandait à l’heure de sa mort, si les quelques revers qui avaient accompagné la fin de sa vie n’étaient pas dûs à ce qu’il n’avait pas fait brûler assez d’hérétiques. Qu’aurait répondu le Christ si la question lui eût été posée?

Une autre conséquence humaine et sociale du téléfinalisme est la nécessité absolue de la liberté. La liberté fut le critérium de l’évolution, depuis la monère originelle. C’est vers elle que tend le développement de la personnalité de l’homme, vers un affranchissement toujours plus grand. Elle est à la fois un but et un outil; un but parce l’homme doit un jour se libérer de ses entraves charnelles – la religion bouddhique insiste particulièrement sur ce point –; un outil, parce qu’à moins d’être libre de choisir entre le bien et le mal, l’homme ne peut plus s’améliorer par l’intérieur, profondément.

Conséquences pratiques morales

La plus importante est pent-être le retour aux principes fondamentaux du Christianisme et la nécessité de la lutte contre les superstitions qui s’infiltrent dans la doctrine et menacent son avenir. Nous avons montré (chap. VII) comment cette symbiose s’était installée et comment les efforts de l’ Eglise avaient été paralysées par la multiplicité et la ténacité des légendes païnnes dont les origines remontent à une haute antiquité. Nous avons vu pourquoi l’Eglise avait été forcée de tolérer certaines pratiques idolâtres profondément enracinées, estimant plus sage de les assimiler en les christianisant plutôt que de les rejeter entièrement, ce qui aurait écarté un nombre immense de fidèles. On ne peut la blâmer, d’autant moins que ces légendes, ces cultes locaux, ces vénérations et tout ce fétichisme touchant, s’ils sont condamnables absolument, n’en sont pas moins l’expression balbutiante du besoin humain d’idéal, la manifestation de cette religiosité fondamentale qui se matérialise de n’importe quelle manière aussitôt que l’homme n’est pas heureux.

Car il faut l’inquiétude, la souffrance, la peur, pour que l’homme s’humanise vraiement et que se libèrent en lui les aspirations spirituelles. C’est en cela que la douleur est féconde, c’est en cela que les superstitions sont respectables. Mais elles ne le sont que dans leur forme la plus simple, la plus puérile. Elles deviennent redoutables quand, cessant de n’être qu’amour et confiance, elles s’accompagnent d’intolérance et de fanatisme. Aucune religion ne peut espérer triompher si elle tolère ces deux cancers qui ne sont autres que la forme que prennent les moins nobles tendances de l’homme, la cruauté, l’orgueil, la haine, l’hypocrisie, quand on leur donne un prétexte pour se manifester impunément.

Les religions chrétiennes en ont souffert comme les autres. En Espagne, ce furent les horreurs de la «sainte» Inquisition catholique. En Amérique protestante, ce furent les tragédies de Salem, où, à la fin du XVII siècle (1692) dix-sept sorciers et sorcières furent pendus en une année. Giles Corey, un noble vieillard de quatre-vingt-un ans, refusa de plaider coupable de sorcellerie et fut écrasé jusqu’à ce que mort s’ensuive par l’accumulation de poids sur la poitrine: « heavy weights being piled on his naked body until he suffocated.» Pendant cette terreur, on exécuta plus de deux cents personnes et deux chiens... Je demande à nouveau: qu’en eût pensé le Christ?

II y a deux cent cinquante ans de cela, dira-t-on; mais c’était au nom du même Dieu, du même Livre. Aujourd’hui, le Livre est interprété différemment, mais le fanatisme et l’intolérance ne sont pas morts; alors, puisqu’une simple différence d’intetprétation a entraîné la martyre de centaines, peut-être de milliers d’innocents, pourquoi aujourd’hui ne pas interpréter scientifiquement, pourquoi ne pas opposer aux problèmes actuels une religion respectueuse de l’Evangile et tenant compte de l’avancement de connaissance humaine?

On m’objectera peut-être que le chrétien sincère n’a pas besoin d’autre livre que l’Evangile. Mon expérience m’a appris que beaucoup de croyants souffrent profondément des contradictions imaginaires entre leur foi sentimentale et leur raison ou leur science. Il faut les éclairer, et puisque le langage symbolique des Ecritures ne correspond plus aux besoins de l’heure présente, il faut, quand cela est possible, exprimer les mêmes idées au moyen du seul langage capable aujour’hui d’entraîner la conviction, parce qu’il a fait ses preuves et qu’il correspond aux acquisitions et au développement intellectuels de notre époque, le langage scientifique. La science nous permet de prédire le mouvement des astres et d’asservir ceux des atomes; elle épargne la souffrance et sauve des vies humaines; elle nous révèle l’infinie complexité de la nature et la grandeur vertigineuse de l’évolution; enfin elle est indépendante des passions et nous accule à la nécessité de l’idée de Dieu.

La nature entière se révèle à nous comme un système en état de transformation continuelle. L’Eglise a été contrainte de la reconnaître en acceptant successivement le système de Copernic et l’évolution. Elle a ainsi admis, au XIX siècle, l’impréciston de la Bible et la possibilité de son adaptation aux faits scientifiques bien établis. Il n’y a donc pas de conflit avec l’othodoxie à demander qu’on tienne compte des progrès dûs à la lente conquête de l’univers par l’intelligence.

Heureux, certes, celui qui possède la Foi inébranlable du charbonnier et dont la vie est modelée par les préceptes de l’Evangile, celui qui ignore ce conflit intérieur dont on devine l’existence même chez des prêtres. Mais cet homme pur et fort est-il très repandu? Je ne le crois pas. S’il l’était, comment expliquer les tragédies, les crimes, grands et petits, les combats, les laideurs qui nous entourent et que certains refusent de voir de peur d’être obligés d’avouer la faillite? Le spectacle que nous offre l’humanité en moyenne, à de belles exceptions près, est navrant. Si nous essayons de comprendre, nous nous trouvons devant un dilemme.

Ou bien la Foi révélée est plus fréquente qu’on ne pense, mais alors, si nous en jugeons d’après notre expérience, sa valeur en tant qu’outil d’amélioration de l’individu et des foules est médiocre. (Car il faut juger d’après les résultats; les gestes de la Foi, l’assiduité aux offices, la dévotion, même sincère, ne signifient rien si l’homme ne conforme pas sa vie à l’idéal chrétien).

Ou bien nous admettons, au contraire, que la Foi est peu répandue; et quand on considère la force, le nombre, le prestige des Eglises, c’est la preuve que les sermons, la Catéchisme et l’Evangile ont perdu leur force convaincante et que par conséquent on doit envisager l’exploitation d’autres voies d’accès au cœur, à l’inteiligence et à la conscience de l’homme.

J’ignore laquelle des deux hypothèses est correcte. Dans l’un ou l’autre cas, it semble qu’on ne puisse élever aucune objection à toute tentative basée sur l’utilisation du capital intellectuel accumulé par l’homme au cours de siècles pour renforcer les notions inées et intuitives les plus hautes. Il importe surtout de faire régner la bonne foi et de renverser les barrières de papier mâché peintes en fer qui séparent encore, hélas ! un grand nombre d’hommes honnêtes et pleins de bonne volonté, stérilisant leurs efforts au moment où, plus que jamais, it serait nécessaire de coordonner leurs forces pour préparer l’avenir.

L’hypothèse que j’ai proposée ne doit être considérée que comme un essai dans ce sens. Qu’on l’accepte ou qu’on la critique, elle aura néanmoins montré que le code moral humain pouvait être rattaché intelligiblement à une certaine notion finaliste de l’évolution; et, sans finalisme, l’évolution est incompréhensible. Si cet essai n’en suggère pas d’autres, si ma voix s’amortit sans écho, ce sera l’indication que les temps ne sont pas mûrs pour une réconciliation du rationnel et de l’irrationnel, que l’homme a besoin d’évoluer encore et peut-être de souffrir davantage avant de comprendre qu’avec les meilleures intentions du monde, il travaille constamment contre lui-même et est, autant qu’au XVII siècle, victime des «idoles» de François Bacon.

Tout le monde est d’accord pour souhaiter une amélioration morale de l’humanité, mais les athées et certains esprits religieux s’en rapportent entièrement à la Providence, à cette différence près que les athées lui donnent le nom de hasard. Je m’excuse de ce rapprochement qui m’est inspiré par la conséquence indentique des deux attitudes, à savoir la futilité de l’effort individuel. L’élément religieux auquel je fais allusion condamne a priori tout essai rationnel d’approche des problèmes fondamentaux irrationnels, dans un splendide orgueil qui serait peut-être admirable s’il était plus humain, mais n’est, dans son intransigeancc médiévale, qu’inquiétant. L’élément athée s’en rapporte uniquement à des solutions extérieures, sociales, qui, immanquablement, conduisent à des dictatures, ou, ce qui vient au même, à des organisations copiées sur les sociétés d’insectes. L’élément simplement agnostique, constitué d’intellectuels qui vivent confortablement, sinon luxueusement, de leur science souvent réelle, ou de leur talent, n’éprouvant pas le besoin de croire, ne comprend pas, faute d’imagination, pourquoi d’autres pensent différemment. Il n’y a pas beaucoup d’athées ou d’agnostiques sur un bâteau hôpital torpillé, dans un camp de prisonniers au Japon, ou dans un camp de concentration en Allemagne. Sous la menace de la mort ou de la torture, a-t-on dit, les facultés de l’intelligence s’atténuent et l’homme revient aux superstitions ancestrales... Soit, mais si le pouvotr de raisonner sainement est le privilège de l’homme qui a ses pieds sur les chenêts, dans un intérieur paisible, nous devons alors tenir compte du jugement de la majorité des grands hommes qui ont construit notre science, notre philosophie, et étaient croyants. J’avoue que l’orgueil d’un savant qui, sans être sûr de laisser la moindre trace dans l’histoire des sciences, décide qu’un Faraday, un Maxwell, un Ampère ou un Pasteur, lui était intellectuellement inférieur, me paraît atteindre les limites du paradoxe.

La science a évolué, dira-t-on encore. Ils ne possédaient pas les éléments que nous possédons aujourd’hui: j’ai écrit tout un livre – le premier de cette série – pour démontrer que les notions nouvelles acquises depuis une vingtaine d’années, au lieu de renforcer la thèse matérialiste l’avaient rendue scientifiquement insoutenable.

Ainsi, dans les deux cas, celui du fanatique religieux et celui de l’incroyant, nous rencontrons la même faiblesse humaine, l’orgueil, et la même erreur de jugement qui consiste à négliger ou à nier une moitié de l’activité psychique de l’homme. En combinant ces facteurs, ii ne reste plus rien.

Dependant, dans la nature nous voyons l’effort partout. Pourquoi son action génératriee ou préservatrice se serait-elle arrêtée à l’homme? Pourquoi l’activité nouvelle et spécifiquement humaine de l’intelligence abstractive aurait-elle été donnée (ceci pour répondre aux extrémistes religieux) si elle n’avait pas dû jouer un rôle? Le conflit humain tel que nous l’avons défini, qui oppose lee aspirations irrationnelles de l’homme aux instincts ancestraux et exige la coopération de toutes les facultés cérébrales, confère un sens à l’effort intellectuel sans lui imposer d’orientation ni de limite. Si j’étais prêtre, j’aurais trop d’admiration et de respect pour l’œuvre de Dieu pour me permettre de discriminer entre les différences formes que peut emprunter la pensée de sa créature. N’est-ce-pas la l’idée fondamentale de saint Thomas?

Un fait indéniable existe: le désir de l’effort, le désir de lutter pour atteindre un degré supérieur. Que sommes-nous pour décider qu’il n’existe qu’un chemin vers la Vérité et que tout effort intellectuel est condamné? Pouvons-nous prévoir quel sera le résultat de la suppression de l’effort? Nous savons qu’il est à la base de toutes les grandes œuvres, de toute la beauté et de toute la dignité humaine; dans le désert de notre ignorance, cette certitude s’élève comme un phare; n’est-t-il pas dangereux et impie de le condamner?

 


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